mercredi 1 mai 2013

Jour 5 - Alash

    Au matin, le brouillard s'est dissipé. C'est donc un paysage fabuleux qui se dévoile à nos yeux à notre réveil. Les montagnes du Mongoxique, baignées de soleil, à perte de vue. L'une d'elle attire mon attention : un escalier grimpe à son sommet, où a été érigée une énorme stèle. D'étranges statues longent le chemin. Nos geôliers nous informent qu'il s'agit de la montagne des sultans. Elle a été choisie pour commémorer les différents règnes, et chaque monarque devait s'y recueillir avant son couronnement. Les statues représentent chacun des sultans, dans le style traditionnel mongoxicain, et leurs noms sont inscrits chronologiquement sur la stèle. Ceux d'Al Oud Cador et d'Al Chico Cador, son père, n'y figurent pas. Ébahi, je demande l'autorisation de dessiner ce "mont des sultans". La troupe accepte.


   Mais très vite, nous devons nous remettre en route. Les rebelles veulent atteindre Alash dans la matinée pour ne pas être pris d’assaut par les forces gouvernementales. Ils ne nous rattachent pas. Je crois qu'ils nous font confiance. N'étant pas trop mal traités, nous n'avons de toute façon pas l'intention de nous enfuir. Et puis je commence à éprouver de la sympathie pour nos preneurs d'otages, et je pense que Simon aussi. Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir discuté avec eux qui les rende profondément humain, ou si c'est parce qu'ils nous ont permis de découvrir une autre facette du pays, maison commence à bien s'entendre. J'en profite pour discuter un peu.
   Puis nous arrivons à Alash : une fois de plus, je suis émerveillé parce que je vois. Une énorme cité à flan de montagne, composée de centaines de maisons, de monastères et de temples. Reliées entre elles par des ponts, chemins et escaliers qui s’entremêlent dans la roche, les places sont décorées de statues tantôt abstraites, tantôt représentatives d'un étrange cyclope. Selon [rebelle], Alash est le plus grand centre religieux du Mayoïsme, une religion minoritaire au Mongoxique. Ici, ni l'armée, ni la milice n'osera venir les attaquer. Une fois de plus, je me laisse aller à dessiner ce qui m'entoure.

Un moine mayoïste, un des cent temples d'Alash et une statue du Maï

    Au hasard des rencontres, on tombe sur un moine français expatrié qui s'est converti au Mayoïsme lors d'un voyage à Alash, il y a 20 ans. Grace à lui, j'en apprend plus sur cette étrange religion. Leur prophète, Cécius, était aveugle de naissance. Un jour, le dieu Maï lui apparaît et lui enseigne six lois qu'il doit suivre pour incarner en lui l’Œil du Maï, et ainsi voir au delà de la réalité. En suivant ces préceptes, Cécius parvient à retrouver la vue, et la paix intérieure. Il décide alors d'enseigner la sagesse du Maï autour de lui, et, au fil des siècles, le mayoïsme devient une religion à part entière. Pour atteindre la sagesse de l'Œeil, les fidèles doivent ignorer leur vision véritable, qui les induit en erreur sur la réalité de l'univers. C'est pourquoi les cérémonies se déroulent dans des temple plongés dans le noir complet. Les moines débutants doivent, quant à eux, se bander les yeux à l'aide d'un fouleur : le takma. Quand ils arrivent au terme de leur première phase d'enseignement, ils se crèvent les yeux, pour ne plus voir que par l'Œil du Maï.



* * *

   Et voilà, nous sommes de retour vers Mongoxico-City, dans un hélicoptère de l'armée mongoxicaine. Visfé est mort devant mes yeux, et je ne sais pas ce qu'il est advenu de Témachu et au moine français. Je enquiers de leur sort auprès de l'officier. Celui-ci se veut rassurant : "Leur cas est réglé", me dit l'interprète. À notre arrivée, c'est une foule de journalistes qui veut nous prendre en photo et nous interviewer. Ils parlent tous en même temps, et dans tant de langues différentes que je ne les comprends pas. Simon veut lui leur répondre, mais les militaires qui nous accompagnent l'en empêchent. Nous sommes escortés jusqu'à un taxi, lui-même escorté jusqu'à la salle de congrès où nous nous étions rendus le jour de notre arrivée au Mongoxique. A l'intérieur, je reconnais le sultan-général-président, qui nous attend bienveillamment. Simon est heureux : cette fois, la poignée de main est pour nous.
   Finalement, nous voilà repartis, dans un avion en route vers la France. Que retenir de cette aventure ? Honnêtement, je n'en sais rien. Je me souviendrais avant tout de la majesté des bâtiments de la capitale, de l'émotion ressentie au milieu des habitants les plus pauvres, et de la beauté des paysages de la montagne. Mais je ne sais pas si cette histoire a une morale, et je m'en fiche. J'ai simplement une pensée émue pour Visfé. Pour notre guide, aussi, mais surtout pour Visfé. Je ne crois pas au paradis, mais j'espère que là où il est, il a trouvé ce qu'il cherche.